Alors que l’indice de réparabilité apparaîtra le 1er Janvier 2021 sur de nombreux produits électroniques, nous nous sommes penchés sur la nouvelle loi du gouvernement et ses répercussions sur le marché des smartphones.
Au regard des rapports alarmants du Sénat et de GreenIT concernant l’empreinte croissante du numérique sur l’environnement, le gouvernement a pris conscience du besoin d’évoluer dans sa stratégie pour la transition écologique. L’Etat se tourne donc vers l’allongement de la durée de vie des produits et le marché du reconditionné à travers l’indice de réparabilité afin de limiter la fabrication de produits neufs, puisque la production des smartphones et ordinateurs portables représente à elle seule 75% de l’empreinte environnementale du numérique.
L’objectif annoncé par le gouvernement est d’atteindre 60% de taux de réparation pour les produits électriques et électroniques d’ici 5 ans, d’où la mise en place dès janvier 2021 de l’indice de réparabilité. L’instauration de ce nouvel indicateur a été voté en février dernier à l’unanimité par l’Assemblée Nationale et le Sénat, et constitue une des principales mesures de la loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire.
Définition de l’indice de réparabilité
L’indice de réparabilité va informer les consommateurs de la facilité de réparer le produit qu’ils achètent. Il a été conçu dans l’esprit de l’étiquette-énergie, une première mesure qui a permis de faire prendre conscience aux consommateurs des abus énergétiques de certains constructeurs et de pousser les fabricants à améliorer les performances énergétiques de leurs produits.
Ce nouvel indicateur aura donc une couleur (de rouge à vert) ainsi qu’une note entre un et dix qui donnera de façon claire une idée de la facilité de réparation du produit. Lors de la vente, qu’elle soit physique ou en ligne, les produits devront obligatoirement présenter l’indice de façon visible et directement sur le produit ou son emballage.
Une loi pour limiter l’impact du numérique sur l’environnement
Parmi les axes d’intervention en lien avec la transition écologique, le gouvernement souhaite favoriser le réemploi, la réparation et le reconditionnement et ainsi tendre vers l’économie circulaire. L’indice de réparabilité s’aligne pleinement dans cette direction et devrait avoir un impact à la fois sur l’offre et la demande :
Des consommateurs qui privilégient des produits durables
Côté consommateur, le but est de leur donner davantage d’informations lors de l’achat d’un appareil neuf afin qu’ils privilégient des produits réparables et les gardent plus longtemps. Ce nouvel indicateur va aussi servir à la prise de conscience du public aux enjeux environnementaux du numérique. Le gouvernement a déclaré le 8 octobre dernier que la connaissance de l’empreinte du numérique était un de ses axes principales d’intervention. L’indice va permettre de mettre en avant l’argument de la réparabilité et inspirer le public à envisager leur consommation de façon plus responsable.
La contribution des constructeurs à travers l’éco-conception
Côté fabricant, l’idée est de les pousser à permettre la réparation de leurs produits et de lutter contre l’obsolescence programmée. La nouvelle mesure va avoir impact important sur la production : elle va forcer les constructeurs à évaluer la performance de réparabilité de leurs produits et remettre en question la conception des produits électroniques. Comme l’étiquette-énergie, elle va les amener à améliorer ce critère de performance et à retirer les produits ayant un indice bas afin de ne pas dégrader leur image de marque.
À terme, l’objectif de la loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire est d’orienter l’industrie vers l’éco-conception. Concrètement, cela signifie un choix responsable de matières premières, un recyclage systématique et plus performant et une facilitation du réemploi et de la réparation. L’idée est donc de faire la transition vers une économie circulaire, où la production de produits et composants neufs est fortement limitée voire inexistante.
Les cinq critères de l’indice de réparabilité pour les smartphones
Critère 1 : documentation
Le premier critère concerne la mise à disposition de la documentation qui facilite la réparation. Le constructeur gagnera par exemple des points s’il inclut des schémas du produit, un manuel technique pour la réparation ou encore des instructions logicielles pour réinitialiser son smartphone. La documentation devrait aussi comprendre des codes d’erreurs, un bulletin technique informant des bugs et incidents ayant été découverts ainsi que différents documents facilitant l’autoréparation de l’utilisateur du téléphone. Un nombre additionnel de point sera attribué si les documents sont disponibles six ans ou plus. Ils devront être mis à disposition à la fois des producteurs, réparateurs et consommateurs pour ne pas perdre de points.
Critère 2 : démontabilité et accès aux composantes
Le second critère met en évidence la démontabilité et l’accès aux composantes. Celui-ci est découpé en trois sous-critères :
- La facilité de démontage selon le nombre d’étapes
- La fixation des pièces sur le téléphone (clippées, vissées ou collées)
- Les outils nécessaires pour démonter chaque pièce
L’outillage et le nombre d’étapes de démontage seront évalués pour la batterie, l’écran et les caméras du smartphones. Les points attribués à la fixation des pièces concernent davantage d’éléments (carte mère, haut-parleur, connecteur de charge ou encore microphone) et seront attribués si celles-ci sont amovibles et réutilisables après leur démontage.
Critère 3 : disponibilité des pièces détachées
Le troisième critère porte sur la disponibilité des pièces détachées. Comme pour la documentation, le constructeur sera évalué sur le nombre d’années qu’il mettra les pièces à disposition (point essentiel pour pouvoir réparer et reconditionner des smartphones plus âgés qui fonctionnent encore bien) ainsi que sur la disponibilité des pièces pour les producteurs, distributeurs de pièces détachées, réparateurs et consommateurs. Il faut noter que les délais de livraison des pièces détachées auront autant de poids dans le calcul de points du critère. Le nombre de jours de livraison déterminera le score du constructeur.
Critère 4 : prix des pièces détachées
Le prix des pièces détachées constitue le quatrième élément de l’indice de réparabilité. Afin d’être cohérent dans l’attribution des points, un ratio sera calculé en fonction du prix du smartphone neuf et déterminera le nombre de points du critère 4. Par exemple, si la batterie d’un smartphone à 400€ coûte 40€ ou moins (10% du prix du produit), le constructeur obtiendra le maximum de points pour cette pièce. À l’inverse, si la batterie du même téléphone coûte 120€ ou plus (30% du prix du produit), aucun point ne sera attribué au constructeur.
Critère 5 : mise à jour logicielle et assistance sans frais
Enfin, la cinquième catégorie s’intéresse à des données spécifiques aux smartphones. Suite aux problèmes de mises à jour logicielles ayant précipité la panne de smartphones chez certains constructeurs, le gouvernement a décidé d’évaluer la capacité à informer les consommateurs sur la nature des mises à jour et leur effet sur la fonctionnalité du téléphone. La seconde moitié du critère 5 concernera l’assistance à distance sans frais et la possibilité de réinitialiser le logiciel du smartphone.
Chaque critère sera évalué sur 20, puis le total sera divisé par 10 pour proposer une note synthétique. L’ADEME travaille aussi sur la possibilité de donner accès aux détails de la note globale afin de garantir la transparence des fabricants.
Les limites de l’indice de réparabilité en 4 questions
Y aura-t-il un écart important selon les modèles ou les marques ?
Il est difficile de savoir à ce jour s’il y aura une vraie différence entre les modèles, ou si les notes de réparabilité se ressembleront et n’auront donc pas un réel intérêt pour les consommateurs. Contrairement à l’étiquette énergie qui met en évidence des caractéristiques physiques mesurables, le calcul de l’indice de réparabilité avec son système de point risque de permettre aux constructeurs de faire l’essentiel sur quelques aspects pour avoir une note moyenne, sans pour autant faire de réels efforts sur la réparabilité. Si les modèles de smartphone ont un score similaire, ce serait un échec pour l’indice de réparabilité puisqu’il ne permettrait pas d’informer le consommateur sur l’engagement du fabricant sur la durée de vie de son produit. Il sera cependant possible de comparer les notations avec celles du site internet iFixit qui propose déjà ce type d’indice pour de nombreux modèles de smartphones.
L’indice permettra-t-il à l’utilisateur de savoir s’il peut réparer lui-même son produit ?
L’objectif de cet indice est d’améliorer la réparabilité des produits électroniques, ce qui ne sous-entend pas qu’il facilitera l’autoréparation. En effet, un constructeur pourra obtenir une note correcte, voire une bonne note, sans forcément que l’utilisateur puisse réparer lui-même son appareil. Pour réparer un smartphone, il est très courant d’avoir besoin d’outils spécifiques à la marque, de pièces détachées difficiles à obtenir et de connaître des manipulations spécifiques pour ne pas abîmer le téléphone. Par exemple, même si l’indice de réparabilité de certains modèles Apple sera sans doute élevé, les pièces détachées et outils ne sont pas mis à disposition des consommateurs. Le produit ne sera donc pas autoréparable. S’ils ont pour but de mieux informer le consommateur et l’inclure dans la réparabilité, la majorité des critères sont donc orientés vers les réparateurs.
Est-ce un indicateur fiable de la réparabilité et de l’engagement du constructeur ?
Comme mentionné précédemment, les constructeurs pourront jouer sur certains critères et sous-critères afin de faire remonter leur note à un niveau moyen. L’indice ne reflètera donc pas forcément la réparabilité et l’engagement du fabricant. Par exemple, il obtiendra autant de points si la démontabilité se fait en très peu d’étapes mais avec des outils spécifiques à la marque, que si elle se fait en beaucoup d’étapes mais sans outil nécessaire. Dans le second cas, la réparabilité est bien meilleure à la fois pour le consommateur et le réparateur, or cela ne se traduira pas dans la note. De la même manière, si le prix des pièces détachées est très bas mais qu’elles sont très difficiles à obtenir, le constructeur obtiendra un score relativement élevé par rapport à la réparabilité réel du produit. Enfin, il y a un problème de rigidité de l’indice. Si une pièce qui tombe très souvent en panne n’est jamais disponible, le constructeur devrait se voir attribué une note globale très basse, ce qui ne sera pas forcément le cas. Dans le même sens, ce système de point ne pousse pas les constructeurs à mieux faire s’ils ont le score maximal sur un critère.
Un smartphone facilement réparable est-il pour autant durable ?
Là encore, il faut se méfier de l’indice de réparabilité qui n’informe que sur un aspect de la durabilité. En effet, pour concevoir un smartphone durable, celui-ci doit être composé de matériaux robustes, d’un logiciel fiable et d’un circuit électronique dont la performance ne fléchit pas après quelques années. Même si l’utilisateur peut changer les pièces de son téléphone, il ne peut rien en cas d’obsolescence logicielle ou technique. L’indice de réparabilité risque donc de véhiculer la mauvaise impression sur l’engagement environnemental des constructeurs puisque que c’est bien la durabilité et non la réparabilité qui témoigne des efforts du fabricant. La loi Anti-Gaspillage a cependant prévu l’instauration d’un indice de durabilité d’ici 2024. Celui-ci remplacera l’indice de réparabilité et prendra en compte d’autres critères comme la robustesse des composantes ou la fiabilité du logiciel. C’est une vraie bonne nouvelle pour la lutte contre l’obsolescence programmée puisqu’il examinera des aspects clairement mesurables. Ce nouvel indicateur devrait encore appuyer la pression sur les constructeurs, même si les détails du calcul doivent encore être précisés.
iFixit : un indice de réparabilité qui existe déjà
La plateforme iFixit, site incontournable pour réparer soi-même son téléphone ou autre produit électronique, propose déjà depuis quelques années une note de réparabilité pour les smartphones, ordinateurs portables et tablettes allant de 0 à 10. La plateforme, créée en 2003, a pour but d’accompagner l’utilisateur dans la réparation de son produit à travers tutoriels et vente d’outils. Elle calcule son indice en fonction de la facilité d’accès aux composantes, de la mise à disposition des pièces détachées ou encore du besoin d’outils spécifiques pour changer les pièces défectueuses. Cela permet aux internautes d’être informés quant à la facilité (ou difficulté) qu’ils auront à réparer leur produit.
C’est donc un indice très similaire à celui que le gouvernement souhaite faire apparaître sur nos produits électroniques. C’est pourquoi iFixit a fait savoir par son site internet qu’il allait proposer d’assister dans la conception de leur produit les constructeurs qui souhaitent améliorer leur note. Le site internet a annoncé qu’il proposerait des prestations d’évaluation de la réparabilité, de conception des appareils et de conseil sur la conformité légale liée à la loi anti-gaspillage, mais aussi liée aux futures réglementations européenne en cours d’élaboration.
Les leaders de la réparabilité selon iFixit
Les bons élèves
Sans surprise, ce sont les Fairphone 2 et 3 qui présentent la note de réparabilité la plus élevée. Le changement des pièces les plus susceptibles d’être remplacées (batterie, ecran) nécessite un simple tournevis crucifix et des repères visuels guident l’utilisateur dans le démontage et remontage des composantes. En second, c’est le smartphone allemand Shift 6m qui présente la meilleure note sur cette échelle de notation. Pour démonter les pièces de son Shift 6m, il suffit d’un tournevis fourni dans la boîte accompagné d’un guide de réparation. Parmi les smartphones récents ayant une note élevée, les téléphones LG 2015 et 2016 se placent les plus hauts avec une batterie amovible et des fixations à vis simples.
Les mauvais élèves
Parmi les modèles à éviter si vous souhaitez pouvoir réparer votre téléphone en cas de problème, on retrouve le HTC One 2013, l’Essential Phone 2017 du nouveau constructeur Essential et le Motorola Razr 2020 avec la note de 1 sur 10. On y retrouve des problèmes de fixation (les composantes sont collées et impossibles à démonter sans endommager l’appareil), des batteries très difficiles d’accès et des ports de charge soudés à la carte mère.
Apple vs Samsung : qui gagne ?
Entre Apple et Samsung, les deux plus gros constructeurs du marché, Apple se place mieux que son concurrent. En effet, Samsung a de meilleures notes qu’Apple uniquement sur des modèles précédant 2013. Samsung fait même partie des pires constructeurs en termes de réparabilité sur tous ses modèles récents (Galaxy Z Flip, Galaxy S20 Ultra, Galaxy Note 20 Ultra). Côté Apple, ce sont les iPhone 5, 6 et 7 qui présentent la meilleure note (7 sur 10) malgré le problème récurrent des pièces et outils constructeurs difficiles à obtenir pour les particuliers.
L’indice de réparabilité proposé par iFixit démontre le peu d’efforts faits par les fabricants de smartphones, alors que le problème de l’obsolescence programmée et de la réparabilité a été relevé depuis plusieurs années. On remarque notamment que la date de sortie du téléphone n’a pas forcément d’influence sur la performance de réparabilité du produit, et que de nombreuses marques ont régressé au fur et à mesure des années.
La mise en place d’un fond de réparation
Les rapports du Sénat et de GreenIT ont mis en évidence un problème majeur dans la durée de vie de produit : le coût de réparation pour les particuliers. C’est pourquoi l’État, accompagné des associations HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) et Ecosystem, a décidé de mettre à disposition un fond de réparation pour réduire le prix d’une réparation pour le consommateur. L’utilisateur devra aller chez un prestataire agréé et ne réglera qu’une partie du service. L’autre partie sera donc prise en charge par les fonds de réparation qui seront alimentés par les contributions des constructeurs. L’association HOP souhaite que ces contributions soient déterminées en fonction des efforts d’éco-conception faits par les fabricants. La mise en place reste cependant vague puisque le gouvernement n’a pas publié de décret ni communiqué sur le sujet depuis la loi anti-gaspillage en février 2020.
La mise à disposition des pièces détachées : un enjeu majeur du réemploi
Un des critères essentiels de l’indice de réparabilité concerne la mise à disposition des pièces détachées. Le ministre de la Transition écologique a annoncé avoir saisi la DGCCRF pour limiter au maximum les restrictions des constructeurs sur la mise à disposition des pièces détachées. L’objectif est de rendre ces pièces accessibles pour faciliter la réparation et le réemploi et favoriser la croissance du marché du reconditionné.
Cet aspect est très important pour permettre aux acteurs de l’économie circulaire comme e-Recycle de pouvoir réparer et reconditionner au maximum les smartphones et ordinateurs portables. C’est un aspect critique du réemploi puisque cela nous permet de remplacer les composants défectueux avec des pièces fiables d’origine.
Apple étend l’éligibilité aux pièces détachées d’origine pour les réparateurs indépendants
Apple a de son côté décidé de faciliter la mise à disposition de ses pièces détachées à des réparateurs indépendants. Ceux-ci devront rejoindre le programme d’Apple pour avoir accès aux pièces d’origines ainsi qu’aux outils permettant la réparation d’iPhones. Cela va permettre aux réparateurs indépendants d’utiliser des pièces de qualité et fiables pour allonger la durée de vie des produits Apple.
Cependant, il faut noter qu’Apple a ajouté des conditions contraignantes pour avoir accès aux pièces détachées. En effet, le constructeur exige :
- La certification des techniciens par une formation puis un examen
- La présence de locaux facilement accessibles au grand public et sans rendez-vous
Enfin, Apple se réserve le droit de refuser l’accès au programme sans se justifier. Il sera donc impossible pour les petites structures, les distributeurs de pièces détachées et les particuliers de bénéficier du programme mais aussi pour les reconditionneurs, alors que la demande des consommateurs pour des produits d’occasion est en pleine essor. Si le gouvernement souhaite accélérer le marché du reconditionné comme il l’a annoncé, il devra mettre davantage de pression sur les constructeurs de smartphones pour permettre aux acteurs du marché d’utiliser des pièces détachées d’origine.
Pour aligner transition numérique et transition écologique, davantage d’efforts devront cependant être faits sur les opérateurs et les constructeurs afin d’appuyer les produits reconditionnés et d’améliorer leur durabilité. En tant qu’acteur de la Greentech, e-Recycle contribue dans cette transition en proposant des smartphones d’occasion fiables, en garantissant les produits 12 mois (durée deux fois supérieure au minimum légal) et en s’approvisionnant uniquement auprès de particuliers et entreprises françaises.